IV. Rachmaninov chez son psy...
vendredi 10 avril 2020, par
10 avril, 10:19
Bonjour à tous. Je poursuis ma série sur les « Grands musiciens en isolement » (articles que j’ai publiés dans la Lettre du Musicien).
A suivre, lundi, Beethoven.
IV : RACHMANINOV CHEZ SON PSY
Serge Rachmaninov remonta le col de son manteau et sortit dans les rues enneigées de Moscou. Il se rendit, tête basse, chez le docteur Dahl. Ce médecin, qui se prénommait Nicolas comme le tsar, était psychothérapeute. Il avait étudié en France avec cette sommité de la neurologie et de l’hypnose qu’était Jean-Martin Charcot.
En ce début de février de l’année 1900, cela faisait un mois que Rachmaninov rendait visite quasi quotidiennement au docteur Dahl. Agé de 27 ans, il était en dépression.
Le docteur Dahl le reçut une nouvelle fois. Crâne dégarni, regard perçant, il avait une barbichette blanche qui – était-ce un hasard ?– ressemblait à celle du docteur Freud. Le musicien alla prendre place dans le vieux fauteuil où se déroulaient habituellement ses séances d’hypnose.
Mais avant l’hypnose, le musique et le docteur parlaient. Sans cesse ils revenaient sur la cause de la dépression du jeune compositeur : l’échec de sa première symphonie.
La création de l’œuvre, en mars 1897, avait en effet été catastrophique. Le chef d’orchestre, qui n’était autre que le célèbre Glazounov, était arrivé ivre au pupitre et n’était pas arrivé à tenir ses musiciens. Les critiques avaient été désastreuses. Celles de César Cui en particulier – Cui, le compositeur membre du célèbre Groupe des cinq.
Dans le monde de la création artistique, on ne dit pas assez l’importance des critiques. Par fierté, les artistes feignent de les ignorer. En vérité, ils les attendent, les espèrent, les épient. Si elles sont mauvaises, elles peuvent les anéantir. Tel avait été le cas pour Rachmaninov.
Comble de malchance, peu de temps après, Rachmaninov avait eu l’occasion d’être présenté à l’écrivain Tolstoï qu’il admirait. Et celui-ci, avec une insouciante cruauté, lui avait demandé : « A quoi sert votre musique ? » Cela avait fini de le mettre à terre.
Rachmaninov avait le vide en lui. Il avait perdu ce qui est fondamental pour la création : l’inspiration. Il fuyait le monde, il se sentait perdu.
Le docteur Dahl n’arrivait pas à l’apaiser. Il utilisait pourtant toutes les théories de cette science nouvelle qu’était la psychanalyse — théories sur l’inconscient, la névrose, la sexualité infantile. Rien n’y faisait.
Un jour, il eut une idée : la meilleure des thérapies pour un artiste en dépression ne serait-elle pas de l’inviter à pratiquer à nouveau son art ?
Alors, pendant un sommeil hypnotique de Rachmaninov, il se mit à marteler : « Vous commencez à écrire un nouveau concerto… Vous y arrivez… L’œuvre est belle... Vous avez succès… »
On raconte même qu’un jour le docteur Dahl, qui était violoncelliste, joua un thème simple : sol, sol, sol, sol, fa, sol, sol, la bémol, fa, mi bémol, sol.
En rentrant chez lui, Rachmaninov avait ces notes qui tournaient dans sa tête. Il se mit au clavier et les joua. Il les orna, les harmonisa. Et soudain, jaillit sous ses doigts le beau thème nostalgique du mouvement lent de son deuxième concerto.
Il revint chez le docteur Dahl avec une ébauche de partition. Le docteur applaudit, l’incita à continuer.
Au printemps, deux mouvements du concerto étaient composés : l’adagio et l’allegro.
Il fallait à présent les faire jouer.
Le docteur Dahl et les cousins de Rachmaninov, les Satine, avaient leurs entrées dans le monde. Ils obtinrent de la princesse Lieven qu’elle organise un concert de charité dans la Salle de la Noblesse de Moscou. On réunit un orchestre. Ce soir-là, un journaliste de la revue musicale Rousskya Muzykhalnya Gazetta cria au génie !
Rachmaninov était redevenu compositeur ! Il ne lui restait plus qu’à composer le premier mouvement de l’œuvre.
Ainsi naquit le magnifique 2e. concerto, dont la première audition officielle eut lieu en octobre 1900 à la Société Philharmonique de Moscou et dont le succès ne se dément pas.
Rachmaninov était sorti de la solitude de la dépression. Il était revenu à la vie.
André PEYREGNE
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